"A cette heure dernière, au milieu de cet air
surchauffé, les femmes régnaient. elles avaient pris d'assaut les
magasins, elles y campaient comme en pays conquis, ainsi qu'une horde
envahissante, installée dans la débâcle des marchandises. Les vendeurs,
assourdis, brisés, n'étaient plus que leurs choses, dont elles
disposaient avec une tyrannie de souvereines. de grosses dames
bousculaient le monde. Les plus minces tenaient de la place, devenaient
arrogantes... La clientèle se ruait au buffet dans une rage d'appétit,
les mères elles-mêmes s'y gorgeaient de malaga... Quarante mille ballons
rouges avaient pris leur vol dans l'air chaud des magasins, toute une
nuée de ballons rouges qui flottaient à cette heure d'un bout à l'autre
de Paris, portant au ciel le nom du Bonheur des dames !" Emile Zola
En sortant du musée Zadkine, aprés la superbe exposition sur l'amitié entre Zadkine et Modigliani, nous prenons le métro jusqu'à Chatelet pour revoir la Samaritaine. C'est une visite logique pour se préparer à l'exposition sur la "Saga des Grands Magasins" de 1850 à nos jours qui se tient à la Cité de l' Architecture et du Patrimoine, située sur le parvis du Trocadéro, face à la tour Eiffel, au sein du Palais
de Chaillot, avec le Théâtre national de la danse, le Musée de la Marine
et le Musée de l’Homme. « Samaritaine Paris Jardin d’hiver » est aussi un retour aux sources,
puisque Marie-Louise Cognacq, passionnée de botanique, avait ouvert son
jardin à Samoëns. L’architecture même du magasin, de style Art Nouveau,
reprend les codes du vivant avec le lierre, les feuilles de marronniers
ou encore le paon, emblème de la Samaritaine.
Le 1er
juillet 1838, une jeune fille, prénommée Marie-Louise, naît dans le
petit village de Samoëns. Bien loin des tumultes de la capitale, elle
grandit en élevant des chèvres avant de partir à ses 16 ans pour
l’aventure d’une vie. Bien loin de se douter de sa destinée,
Marie-Louise y fondera un des plus célèbres grands magasins, La
Samaritaine, sans jamais oublier sa région natale. D'origine modeste, le couple formé par Ernest Cognacq et son épouse
Marie-Louise Jaÿ constitue un remarquable exemple d'ascension sociale
liée à l'essor des grands magasins à la fin du XIXe siècle.
La verrière de la Samaritaine – De 1970 à 1985, la fresque des paons
avait été recouverte de peinture blanche. Après une première
restauration avant la fermeture, elle illumine désormais le haut de
l’édifice de Frantz Jourdain. Ces 424 m2 de paons faisant la roue ou de
profil sont attribués au fils de l’architecte, Francis Jourdain. Un
assemblage de 336 panneaux restaurés pendant quatre ans par l’Atelier
Bouvier. Pour les fetes, la décoration est sublime,en particulier le champagne Ruinart, les chaussures de luxe, la parfumerie, les grands couturiers.
"Les grands magasins reflètent les évolutions de nos sociétés à travers
leurs architectures éblouissantes. Leur âge d’or se situe entre 1850 et
1930 parallèlement à l’essor des transports et de l’industrie. A cette
époque, ils révolutionnent les modes de consommation tout en inventant
une organisation sociale nouvelle, souvent comparée à une ruche, avec
une multitude d’employés sous la supervision d’un fondateur
charismatique. Pensés à leur origine pour la bourgeoisie et les classes moyennes, voire
populaires, ces temples de la marchandise inventés au mitan du XIXe siècle
pour combler le moindre désir de la clientèle se voient aujourd’hui
célébrés par les musées alors que leur aura a été siphonnée par
l’industrie du luxe."
Les grands magasins apparaissent dans les principales métropoles à partir du milieu du XIXe siècle. Si Paris est considéré comme la ville de naissance des grands magasins avec la Samaritaine, le Bon Marché et d'autres, Londres, New York, Mexico ou Le Caire comptent
leurs enseignes bien avant 1900. Les grands magasins incarnent une profonde révolution économique et industrielle et marquent le début de la société de consommation.
"Tout est bâti en brique et fer. La façade en belle pierre. Les halls très légers, très hauts. Rez-de-chaussée cinq mètres, premier étage quatre mètres, deuxième trois mètres cinquante. Les halls vitrés, garantis par un grillage, avec des vitres ornées pour l'aération aux quatre coins. Des lustres, surtout dans le grand hall sur la rue de Sèvres. L'aspect de ces halls qui se succèdent, en un demi-cintre, avec les galeries jetées comme des ponts, les escaliers qui montent, légers, comme dans le vide, les étages superposés, la fuite de tous ces lointains, ces entassements de palais babyloniens, mais réalisés avec une légèreté extraordinaire (le fer et la brique). Les coins de marchandises entrevus, un comptoir de robe ou de dentelle. Ainsi, au fond de la ganterie, du côté de la rue de Babylone, la literie aperçue en haut, avec des lits tout faits, des lits blancs d'épousés, des berceaux tendus de leurs petits rideaux blancs, des lits de cuivre vides, tout le neuf d'un ménage, tout le bonheur d'une femme, à mettre dans ses meubles." Zola.L'exposition nous montre beaucoup de pièces Art Nouveau issues d'un grand magasin de Nancy.
Fin du XIXe siècle, 2 cousins alsaciens décident d’établir un magasin de
nouveautés à l’angle de la rue Lafayette et de la Chaussée d’Antin.
Emplacement idéal, une foule de Parisiens et de Provinciaux afflue quotidiennement.
Le magasin ne cesse de s’agrandir pour devenir un "bazar de mode"
Recherche architecturale et décoration Art Nouveau avec
– le monumental escalier rappelant celui de l’Opéra, il disparaîtra au cours du XXe siècle.
– la coupole culminant à plus de 40 m
– les balcons en arrondi
– les vitraux de style néo-byzantin. Les Grands magasins font montre de créativité pour transformer le commerce en plaisir. Ces grands magasins se présentent comme un nouvel espace de liberté
pour les femmes de la bourgeoisie dont la vie sociale se limite encore à
l'époque aux fêtes familiales et à quelques sorties au théâtre. Pour
leur respectabilité, des entrepreneurs comme Jules Jaluzot, créateur du Printemps Haussmann, confient la tenue des stands non plus à des vendeurs hommes, les calicots, mais à des midinettes.Accompagnant l'émergence des classes bourgeoises et de leur
pouvoir d'achat, les grands magasins pratiquent l'entrée libre, des prix
fixes (alors que les échoppes avaient tendance à vendre au plus cher,
selon des prix « à la tête du client »)
et affichés qui mettent fin au marchandage. Une marge plus faible
compensée par un volume d'affaires plus important, rend les prix
attractifs. Par ailleurs, la révolution industrielle favorise cette tendance de baisse des prix par la mécanisation et la production en série
(notamment dans l'industrie textile), ce qui permet de diffuser une
offre plus abondante et plus diversifiée (accélération du cycle de la
mode qui se démocratise, logistique favorisée par le développement du rail). Sans que l'on puisse encore parler de démocratisation de la consommation, on remarque que « Les
magasins proposent une offre plus large, régulièrement renouvelée et
soutenue par les réclames, des soldes, des livraisons à domicile, la
vente par correspondance ou les reprises de marchandises, ce qui
accélère la rotation du stock »
Dans " Au Bonheur des Dames", Zola "s'est en particulier inspiré du Bon Marché - crée en 1850 - et du Grand magasin du Louvre "
Émile Zola va aussi contacter des architectes, et en particulier
Franck Jourdain qui est l'architecte de la Samaritaine crée en 1865. Il
va s'inspirer de la figure de l'entrepreneur. Celle d'Aristide
Boucicaut, le fondateur du Bon marché pour imaginer son personnage
principal."
"Le Bon Marché (Aristide et Marguerite Boucicaut, 1852), les Grands Magasins du Louvre (Alfred Chauchard, 1855), À la Belle Jardinière (1856), le Bazar de l’Hôtel de Ville (François-Xavier Ruel, et Marie-Madeleine Poncerry, 1860), les Grands Magasins du Printemps (Jules Jaluzot, 1865), la Samaritaine (Ernest Cognacq et Louise Jay, 1865), les Magasins Réunis (1866), les Grands Magasins de la Paix (1869), les Grands Magasins de la Place de Clichy (1877) ou les Galeries Lafayette (Théophile Bader et Alphonse Kahn, 1896)… les grands magasins seront nombreux à venter les plaisirs du lèche-vitrine et à plaider la démocratisation de la mode." Carnets D' Igor
Des rotondes d'angles, de vastes dômes, des escaliers majestueux aux
ferronneries ouvragés, des halls monumentaux pour accueillir comme au
spectacle une clientèle en majorité féminine, les grands magasins sont
d'abord spectaculaires. Inondés de lumière, ils sont construits pour
éblouir. la mise en scène des marchandises révolutionnent
les modes de consommation, transformant l'acte d'achat en une expérience
sensorielle et divertissante.
Outre les Cognacq-Jay, cette époque met en lumière d'autres entrepreneurs. Les Boucicaut Né en 1810, fils de chapelier, vendeur sur les marchés, Aristide
Boucicaut part faire carrière à Paris en 1835. Il y découvre une
nouvelle manière de faire du commerce avec les "magasins de nouveautés",
plus grands et mieux achalandés que les petites échoppes.
Plus tard, alors que les travaux d’Haussmann bouleversent et
métamorphosent la capitale, Boucicaut s’associe au propriétaire d’une
mercerie encore modeste située rue du Bac dans le 7e arrondissement de Paris : le Bon Marché. C’est là qu’Aristide Boucicaut, largement secondé par sa femme
Marguerite, invente le premier grand magasin moderne, pour lequel il
fait construire un bâtiment qui existe encore aujourd’hui. Il s’adresse en 1869 à l’architecte Louis-Charles Boileau, qui
travaillera avec Armand Moisant et Gustave Eiffel. Les travaux sont
achevés en 1887.Dans son magasin, Aristide Boucicaut teste avec succès toutes les
techniques commerciales qui séduisent la bourgeoisie nouvellement
enrichie du 19e siècle et la poussent à consommer toujours davantage.
Jules Jaluzot est une personnalité hors-norme, véritable personnage de roman à la jonction des XIXe et XXe siècles, à la fois homme d’affaires, homme politique et homme de presse, possédant, à partir de 1892, deux grands journaux nationaux La Patrie et La Presse. Et pourtant, rien ne le prédestinait à une telle ascension sociale. Né le 5 mai 1834 à Corvol-l’Orgueilleux dans une famille de la bourgeoisie provinciale, d’un père notaire et maire de sa commune, Jules Jaluzot fait des études à Clamecy puis au collège d’Auxerre. En 1853, il rejoint Paris et travaille alors dans plusieurs maisons de commerce avant d’intégrer Au Bon Marché dirigé par Aristide Boucicaut. En février 1864, il se marie avec Augustine Figeac, de treize années son aînée, sociétaire de la Comédie-Française. Elle lui apporte la fortune nécessaire à la réalisation de son rêve : créer sa propre enseigne commerciale dans un quartier récent et en devenir. Ouvert en novembre 1865, le magasin de nouveautés Le Printemps connaît rapidement le succès. Près de mille personnes sont employées en 1880. Mais en mars 1881, l’établissement est la proie des flammes qui le détruisent entièrement. Après une reconstruction totale, les grands magasins du Printemps rouvrent en grandes pompes en mars 1883. En effet, à l’été 1905, des placements spéculatifs sur les sucres le ruinent et placent sa société des magasins du Printemps au bord du gouffre. « L’affaire Jaluzot », expression employée à l’époque par la presse, est très médiatisée. Jaluzot est écarté définitivement du Printemps. Pour rembourser ses nombreux créanciers, ses biens sont mis aux enchères et la justice le condamne à un an de prison avec sursis et à une amende.
En 1865, Jacques Crespin fonde dans le quartier Barbès le « Palais de la Nouveauté », un magasin destiné à séduire les classes populaires.
On y achète d’abord du mobilier, des équipements pour la maison, des
bijoux, de l’orfèvrerie puis plus tard également des jouets, des vélos
ou même des voitures. Simple commis à l’origine, Georges Dufayel succède à Crespin et se retrouve seul à la tête de l’entreprise en 1890.Georges Dufayel est un des premiers à proposer à sa clientèle la vente à crédit.
Il suffit de fournir 20 % de la valeur du bien pour l’obtenir à crédit.
Le recouvrement n’est pas laissé au hasard : un commis passe tous les
mois chez les clients pour récupérer les traites. Dufayel ne recule pas devant la dépense pour attirer les foules et les faire rêver. Un puissant phare éclaire le ciel de Paris
; des plantes exotiques sont exposées dans une serre tropicale; des
acteurs accompagnés de musiciens se produisent dans le théâtre. D'après l'affiche, il ne serait pas le meilleur des patrons. L'organisation du travail a été modifiée. La gestion est paternaliste , à la fois protectrice et contraignante. La croissance des enseignes est florissante entre les deux guerres mais s'essouffle dans les années 20 à cause d'une concurrence féroce du à un recours massif à la publicité qui entraîne un renchérissement des coûts, des marges plus étroites et un rentabilité en berne.

Une superbe Toile de Yves Alix, Les Vitrines.
Tout commence en 1909, lorsque les automates prennent vie derrière les vitrines du Bon Marché à l’occasion des fêtes de fin d’année. L’engouement est immédiat : des milliers de personnes se pressent pour les admirer, et le succès commercial est au rendez-vous. Dans les années qui suivent, les Galeries Lafayette, suivies de près par le Printemps souhaitent rivaliser avec le Bon Marché, transformant cette initiative en une tradition emblématique.
Le krach de 1929, oblige les enseignes à repenser leur modèle. Elles doivent ensuite, après la guerre, affronter les super puis les hypermarchés et l'installation, en périphérie, des centres commerciaux. Les grands magasins doivent s'adapter pour résister et se transformer en "machines à vendre", on y applique les techniques de marketing, les parts de marché augmentent de 1950 aux années 60. Avec les années 8O, les grands magasins subissent la crise et doivent affronter un concurrence de plus en plus rude des centres commerciaux de périphérie. Ils montent en gamme, se spécialisent dans le luxe qui convient à leur patrimoine architectural. Avec l'arrivée du commerce en ligne, les grands magasins doivent résoudre ce difficile problème, faire du profit tout en prenant en compte les grandes mutations du monde. Ils s'adaptent, du moins à Paris, aux clientèles des pays"nouveau riches", les asiatiques, chinois et japonais, les pays du Golfe et la Russie de Poutine... avant l'Ukraine.
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