mardi 26 novembre 2024

PARIS, PALAIS GALLIERA, STEPHEN JONES, LE CHAPELIER FOU




 “Le chapeau est un accessoire visible qui donne du caractère et de la personnalité”

Pour conclure ce court séjours parisien, nous nous rendons au palais Galliera pour visiter l'exposition Stephen Jones, "Chapeaux d'Artiste". Le palais Galliera est construit au XIXème siècle par Paul-René-Léon Ginain, le rival de Garnier. Il incarne l’architecture officielle du XIXe siècle, il séjourne quatre ans à la Villa Médicis où il développe une connaissance érudite de l’architecture de l’Antiquité et de la Renaissance. Le Palais Galliera est construit à la demande de Marie Brignole-Sale, duchesse de Galliera, pour abriter sa riche collection d'art. Ginain a construit ce palais dans le style "Beaux-Arts" en vogue au XIXème. L’inspiration Renaissance prédomine qui des baies vitrées monumentales qui évoquent  Palladio. La façade sur l’avenue Pierre Ier de Serbie s’ouvre sur une cour d’honneur pavée et bordée d’un péristyle en hémicycle d’ordre ionique. Lexposition Stephen Jones, "chapeaux d’artiste" au  présente l'œuvre de ce créateur britannique, un des plus grands modistes contemporains, de ses premières collections dans les années 1980 jusqu’aux plus récentes. Le chapeau y est, élevé au rang d’œuvre d’art. Le parcours met l’accent sur le processus créatif de Stephen Jones, les sources d’inspiration à l’origine de ses pièces et la place de Paris dans son travail. Cette exposition nous intéresse particulièrement car elle évoque notre jeunesse, la musique des années 60, les Beatles, les Stones, Bowie, Boy Georges. Comme les Four Fabs, il est né à Liverpool. C’est au sein de la maison Lachasse qu’il fait ses premiers pas dans l’art du modiste, grâce à son apprentissage auprès de Shirley Hex, une modiste expérimentée. Il ouvre sa première boutique à Londres en 1980, à Covent Garden et propose très rapidement deux collections de chapeaux par an. Membre du mouvement londonien des "Nouveaux romantiques", c’est grâce à ses rencontres dans l’univers de la musique, notamment Boy George, que Stephen Jones fait ses premiers pas dans le monde de la mode. Il collabore avec la haute couture et tisse progressivement des liens étroits avec des maisons et stylistes de premier plan : Christian Dior, Jean Paul Gaultier, Claude Montana, Thierry Mugler, Vivienne Westwood, John Galliano, Comme des Garçons, Walter Van Beirendonck, Louis Vuitton…"


 Divisée en cinq sections, l’exposition propose tout d’abord de revenir sur la jeunesse de Stephen Jones afin de mieux comprendre son univers, ses premières rencontres avec les chapeaux et par conséquent ses débuts de modiste à Londres où il fait ses premières rencontres avec le milieu de la mode. Les premières œuvres présentées sont très plumes et évoquent pour nous cette artiste d'origine britannique qui fait de remarquables créations plumassières à Aubenas. Modiste depuis 1999 sous la marque Atelier Autruche Chapeaux, Stefanie Wesle sublime les plumes de paon et de nombreuses races de faisans. 


"Le chapeau a longtemps été l’accessoire phare des silhouettes aussi bien féminines que masculines, du XVIIIe siècle jusqu’aux années 60, avant d’être peu à peu relégué au second plan. Il incarne un véritable art de vivre dont on a voulu se détacher".

Dans les œuvres de jeunesse, plusieurs évoquent la passion de Jones pour l'astronomie avec une sorte de chapeau soleil et des anneaux de Saturne. North star and couronne et Planet.


Ces collaborations avec les artistes londoniens lui ouvrent els portes du milieu de la mode. Il se fait remarquer par Susanne Bartsch, productrice d’événements mode à Tokyo et New York, ou Rhoda Ribner, acheteuse réputée des grands magasins américains Bloomingdale’s. Il est sollicité pour créer des chapeaux pour  Lady Diana, et entame une collaboration avec la créatrice Vivienne Westwood qui marque un tournant dans sa jeune carrière. Pour lady Di, il crée le fameux béret.
Stephen Jones a créé quatre chapeaux pour les statues des Beatles à Liverpool qui illustrent leurs chansons, « Help », « Penny Lane », « Here comes the Sun » et « Yellow Submarine » au Pier Head.
 
J'ai beaucoup aimé Kinky Gerlinski ci-dessus et la fabuleuse création plumassière ci-dessous.

Stephen Jones aime le monde de la nuit. A
u Blitz Club de Covent Garden, tenu par Steve Strange le futur chanteur de Visage,  Stephen Jones retrouve la jeunesse londonienne férue de mode et de musique, John Galiano et Boy George en particulier.
 

Passion bicorne : Je ne sais quoi. Une façon sexy de porter le bicorne du polytechnicien,
bicorne en feutre « Napoléonette » déconstruit.

« Le chic français, c'est porter du noir. Mais quand le chic français se déshabille à la fin de la soirée pour faire l'amour, peut-être qu'il porte du rose et du rouge. » - Stephen Jones, 2021

 


Hippolyte, automne-hiver 021-22, collection « french Kiss », calotte entièrement brodée de perles de verre irisé. « French Kiss » est une histoire d'amour qui a débuté il y a près de 40 ans, lorsque Stephen a commencé à faire la navette entre Londres et Paris, collaborant avec les plus incroyables des créateurs français : Jean Paul Gaultier, Thierry Mugler, Claude Montana et Azzedine Alaïa. Stephen se souvient avec tendresse de ses soirées dans les clubs légendaires Le Palace et la Nouvelle Eve, où ses chapeaux sont devenus la lingua franca des années 80.

Retour à la plume avec cette extraordinaire création. (Coquette)

La vitrine suivante est très intéressante avec un chapeau en plumes de paon des année 20 (Cloche de Jeanne Lanvin et une création récente de Stephen Jones (Phaedra) qui lui fait face, 2 façons de travailler la plume de paon.


 
 

 


 

 

 

 

 

 

Après la plume, le poil : modèle Balenciaga, automne-hiver 20217-2018, collection « Haute Couture & Prêt-à-porter », fourrure de raton laveur, broderies de perles tubes en verre, paillettes, perles et strass sertis en
plastique.

Le chapeau-chaussure de Schiaparelli (ci-dessous), reprenant la forme d’un escarpin à haut talon, est créé en 1937 en collaboration avec Salvador Dali. L’idée de cet accessoire vient d’une photographie prise en 1933 par Gala de son mari Salvador Dali portant une chaussure de femme sur la tête, une autre sur l’épaule. Ce chapeau a été immortalisé par une photographie de Georges Saad publiée dans le numéro d’octobre 1937 de l’Officiel de la Mode et de la Couture. Stephen Jones reprend l'idée avec des escarpins et aussi avec des chaussures utilitaires.

"French onion soup"un chapeau de 1985 réalisé pour Schwarzkopf en 1985.. Autre clin d'oeil à la cuisine française, une saucisse et œufs au plat tricotés.


Chapeau inspiré par la France, bal à Versailles.


 


La section quatre se consacre à l’Art du modiste et le travail d’artisan de Stephen Jones qui contrairement à certains chapeliers qui produisent en série, s’intéresse à la création unique réalisée sur mesure ou en toutes petites séries, généralement pour des femmes. Du croquis initial à la finition par l’ajout de garnitures, du dressage des feutres et des pailles à la vapeur sur des formes en bois jusqu’à l’assemblage des matériaux les plus variés, il perpétue les gestes traditionnels d’un savoir-faire unique.

Sewing, printemps-été 2018, collection « Hats », toile de coton, impression effet mat, cordonnet de soie, métal.

 

 

 L’exposition explore plus particulièrement le lien que l’artiste entretient avec Paris, la culture française et la couture parisienne. Son arrivée dans la capitale et sa collaboration avec les maisons parisiennes ont en effet bouleversé sa vision de la mode et sa création. L’attachement à Paris transparaît à travers ses propres collections, par les sources d'inspiration et les thématiques choisies : symboles de Paris et de l'histoire de France, image de la parisienne, hommage aux couturiers français.

C’est en 1983 qu’Azzedine Alaïa et Stephen Jones se rencontrent pour la première fois. Le couturier vient tout juste d’ouvrir sa propre maison rue de Bellechasse. C’est lui qui va l’introduire auprès de Thierry Mugler, lui ouvrant ainsi les portes de la couture parisienne. Il faut attendre 2004 pour voir naître la première collaboration entre Jones et Alaïa, d’abord pour le prêt-à-porter, puis en 2016, pour la haute couture.

Stephen Jones entame sa collaboration avec Claude Montana en 1986. Sollicité à plusieurs reprises, il décline sa proposition en raison de son engagement avec Thierry Mugler mais accepte cependant lorsque Montana lui demande de créer des chapeaux pour sa ligne homme. Même si Mugler ne présente pas de collection masculine, il cesse alors sa collaboration avec le modiste. Stephen Jones travaillera avec Montana jusqu'à la fermeture de sa maison en 2002 ainsi que pour la maison Lanvin, que Montana dirige de 1990 à 1992. 

La rencontre avec Mugler a lieu en 1983. Mugler lui présente son projet de défilé pour les 10 ans de la maison, programmé le 23 mars 1984 au Zénith de Paris, face à 6 000 spectateurs, et Stephen Jones prend part à l'un des événements marquants de l'histoire de la mode contemporaine. Il coiffe les mannequins Jerry Hall, Iman, Sayoko Yamaguchi, Dauphine et Pat Cleveland vêtue en vierge auréolée. Le modiste collabore jusqu'à la collection Été Sahara du printemps-été 1986. "Thierry croquait quelques chapeaux pour chaque thème de la collection et m'invitait, à partir de là, à créer tout un panel. J'allais à des réunions, nous faisions tous les chapeaux et, la veille du spectacle, nous recevions un coup de téléphone nous disant qu'en fait, toutes les couleurs avaient changé. Nous devions donc les refaire. Il fallait vraiment y passer la nuit et faire preuve de beaucoup d'ingéniosité."Rappel, l'expo au musée des Arts Décoratifs : cf https://www.lemounard.com/2021/12/paris-thierry-mugler-couturissime-la.html

Lorsque John Galliano est nommé directeur artistique de Givenchy, en 1995, il entraîne Stephen Jones avec lui. Comme au sein de sa propre maison, le chapeau, aux références souvent historiques, reste un accessoire de premier ordre, faisant du modiste un collaborateur essentiel des quatre collections signées par le couturier.


En novembre 1993, Stephen Jones reçoit l'appel de Steven Robinson, l'assistant de John Galliano, lui demandant de créer des chapeaux pour la collection Princess Lucretia (printemps-été 1994). Une complicité s'installe entre les deux artistes. Chaque collection de Galliano est une narration s'appuyant sur de longues recherches en archives dans laquelle s'incarnent des personnages. Stephen Jones se doit de pénétrer l'univers du couturier pour mieux cerner ses attentes et apporter, avec chacun de ses chapeaux, la touche finale d'une silhouette. 


 

 La collection printemps-été 2006 marque la première collaboration de Stephen Jones avec la maison Louis Vuitton, alors dirigée par Marc Jacobs. Les deux créateurs uniront leur créativité le temps de dix collections, parmi lesquelles l'une des plus emblématiques celle de l'automne-hiver 2012. Les mannequins descendent d'un train à vapeur, accompagnées de porteurs tenant sacs et bagages. Elles portent de hauts chapeaux inspirés à Stephen Jones par Anna Piaggi, la journaliste de mode italienne.


Stephen Jones participe à la collection Chiaparelli depuis le défilé haute couture printemps-été 2014, le premier organisé par la maison depuis sa fermeture en 1954 et sa renaissance en 2012. Il a collaboré avec les directeurs artistiques qui se sont succédé, de Marco Zanini à Bertrand Guyon et, depuis 2019, Daniel Roseberry. La complicité avec ce dernier s'est nouée lorsque le créateur travaillait aux côtés de Thom Browne. Comme Elsa Schiaparelli, Daniel Roseberry accorde une place importante à l'accessoire, en particulier au chapeau, se jouant des volumes ou des matières. Stephen Jones peut exprimer sa créativité tout en jouant avec les codes historiques de la maison, à commencer par les inspirations surréalistes, en réinterprétant notamment l'emblématique chapeau-chaussure. Rappel, l'exposition Schiaparelli au musée des Arts Décoratifs cf https://www.lemounard.com/2022/12/paris-shocking-les-mondes-surrealistes.html

Si depuis les créateurs se sont succédé à la direction artistique de la maison, Stephen Jones demeure un fidèle partenaire, voire une sentinelle qui perpétue l’héritage. “Stephen occupe la place de modiste de Christian Dior depuis vingt-cinq ans – pour moi, il est un oracle de la maison. Il en a absorbé toutes les facettes, et celles du couturier lui-même”, confesse Kim Jones. En 2020, la maison Dior dédie un ouvrage à ses chapeaux signé de la main du chapelier – également mentionné dans le titre aux côtés du fondateur – et une exposition dans son musée de Granville en 2022.

Iris Van Herpen. Plusieurs des collections d’Iris van Herpen associent le modiste Stephen Jones, l’artiste Bart Hess, le fabriquant
de chaussures United Nude et les architectes Daniel
Widrig pour les collections Crystallization (2010, avec
Benthem Crouwel) et Escapism (2011).


A.F Vandevorst : Dans le cadre de notre collaboration avec Stephen Jones, nous avons analysé la manière dont Edie Bouvier Beale, une mondaine d’autrefois, régénérait sa gloire passée en exposant des objets récupérés à travers son sens fantastique de la mode et la façon dont il masquait sa silhouette. Stephen a transformé des objets du quotidien, notamment des sacs en plastique, des t-shirts et des pulls, des broches souvenirs, un sac à main, un manteau et une chemise blanche avec le cintre toujours à l’intérieur, en couvre-chefs, ce qui a donné lieu à une touche sophistiquée trouvée dans la simplicité du quotidien.

Thom Browne Les instructions pour son premier défilé   étaient claires: portez vos plus beaux atours gris. Le leitmotiv de la collection: "Fade to Gray", le tube doux-amer de Visage qui conte l'histoire d'un chagrin d'amour abandonné sur le quai d'une gare déserte. "Récemment, ce sont ces créations pour Thom Browne qui font mouche. Pour le dernier défilé homme printemps-été 2017 de la griffe, Stephen Jones réalise des masques d’oiseaux tropicaux couverts de plumes et d’autres de requin au large sourire qui fleurent bon les heures de travail. Drôle, poétique et perché."

Cette exposition est à voir absolument pour son excentricité, ses extravagances et son élégance, car ce n'est plus dans les rues de Paris qu'on peut croiser de tels couvre-chef. Paris est devenu gris et triste sauf dans les lieux que Stephen fréquentent la nuit. Londres est plus déjantée, les gens osent. Madrid, Milan Parme ou Florence sont encore élégant. Si une telle expo remettait le chapeau à la mode. Les Espagnols ont commencé il y a 20 ans à faire une balade chapeautée, à Barcelone. C’est un moment convivial qui met en avant les chapeaux. Cette année, pour la première fois cet évènement débarque en France et c’est la ville de Lyon qui sert de décor. L’évènement est organisé par la Fédération Française des Artisans du Chapeau. Cette déambulation s'est déroulée par ailleurs en simultané dans une quinzaine d’autres villes dans le monde le 7 avril. Pour ceux qui veulent voir une modiste d'exception, passez à l'Autruche, rue Gambetta à Aubenas et vous admirerez des créations plumassières d'une extraordinaire élégance. "Des plumes aux chapeaux et des chapeaux aux plumes".
 
 



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