mercredi 21 décembre 2022

PARIS, OSKAR KOKOSCHKA, UN FAUVE À VIENNE, DEUXIÈME PARTIE, L'EXIL, LONDRES, VILLENEUVE


Au décès de son père en 1923, Kokoschkal abandonne son poste d’enseignant à Dresde, mais il ne peut retourner à Vienne, où son art n’est toujours pas accepté.

Soutenu par son galeriste Paul Cassirer, Kokoschka voyage à travers l’Europe, l’Afrique du Nord, puis l’Orient.  Les paysages, vues urbaines, portraits d’hommes et d’animaux qu’il produit alors tranchent avec le style qu’il expérimentait à Dresde.

La matière est fluide, la palette élargie par de nouveaux rapports de couleurs et les touches enlevées, comme un écho aux traversées rapides de ces contrées. 

En 1926, Kokoschka s'installe à Londres où il passe 6 mois dans l'hotel Savoy comme claude Monnet quelques années plus tot. Il peint ce "Petit Paysage de la Tamise". Paradoxalement, il devient connu au moment où son œuvre se fait plus consensuelle. L’époque qui le rend célèbre est celle de paysages, de vues urbaines, qui s’apparentent parfois à la douceur fluide d’un Turner. Son style, moins tourmenté que dans ses premières toiles, est très nettement marqué par Pissaro, Van Gogh, Cézanne et même Caspar David Friedrich. Comme dans les toiles romantiques et baroques, le regard du peintre semble saisir la ville d’une hauteur afin de nous dévoiler toute la profondeur de l’espace. Au centre, la surface vide du fleuve, de chaque côté des constructions stylisées.

Le Marabout de Temacina. En 1928, il visite la Tunisie et fait une incursion en Algérie.

Cette toile n'est pas signée et a été attribuée à Kokoschka, il y a peu. C'est un portrait de Brancusi. "Au cours de ses séjours à Paris entre 1931 et 1933, le peintre expressionniste Oskar Kokoschka réalise un portrait de Brancusi. Entré en 1957 dans les collections du musée national d’art moderne, dans le cadre du legs de l’intégralité de l’atelier de l’artiste, ce portrait, longtemps non attribué et pourtant caractéristique du style enlevé et cru de Kokoschka, est montré ici pour la première fois. Ce tableau est bien « une esquisse de Brancusi faite par Kokoschka », comme l’écrivait une amie du sculpteur après sa mort, et comme le mentionne l’inventaire de l’atelier."


 





 

 

 

 

Il peint le port de Marseille.

 


 


 

"Qu’il soit à Dresde, Londres ou Marseille, Kokoschka privilégie des vues urbaines où l’eau est présente et se mêle au ciel et à la nature. On reconnaît les silhouettes des bâtiments comme Big Ben ou les façades du quai des Belges de la cité phocéenne. Les représentations en plongée donnent un caractère dynamique et moderne à ces grandes villes de bords de Tamise, Elbe ou Méditerranée."

"Cinq grands portraits d’animaux voient le jour dans les années 1926-1927. Le terme « portraits » est révélateur, Kokoschka peignant des « animaux individuels avec une expression spécifique ». Outre un mandrill prénommé George, son Tigerlöwe [Tigron], un croisement rare entre un lion et un tigre nommé Ranji, compte parmi ses toiles les plus impressionnantes. Kokoschka obtient pour cette œuvre l’autorisation d’installer son chevalet au zoo de Regent’s Park, à Londres. Il raconte son « choc » quotidien, « lorsque le chat géant jaillissait comme une bombe jaune, enflammée, de l’obscurité vers la lumière, la liberté, s’élançait vers moi, comme s’il avait voulu réduire en lambeaux l’homme qu’il voyait si près de la grille de sa cage". Autre sujet, les tortues alligators ou tortues géantes.

"Ses grandes difficultés financières le forcent à rentrer à Vienne en 1932. Sa mère meurt en 1934 pendant la guerre civile de Vienne. Il s’en va alors à Prague où séjourne sa sœur Berta et y rencontre Olda Palkovskà (1915-2004), une étudiante en droit qu’il épousera en 1941. A cette période, la montée du nazisme culmine et Kokoschka fait de son mieux pour mettre en garde ses contemporains pour ses dangers. Ses œuvres sont les premières victimes de cette ascension du fascisme et elles sont toutes décrochées des collections publiques après l’arrivée de Hitler au pouvoir. Certaines sont aujourd’hui encore portées disparues". 


La série de tableaux consacrés à Trudl prénom d’une jeune fille du voisinage –, notamment Pan (Trudl mit Ziege) [Pan (Trudl et la chèvre)], qui semble annoncer la complexité des œuvres plus allégoriques qui suivront bientôt. "ll  rencontre Trudl, la fille d'un ramoneur, alors âgée de quatorze ans. Pouvant déambuler librement dans l'atelier du peintre, la jeune fille devient le sujet de plusieurs tableaux et dessins de cette période.

Dans cette œuvre, Trudl se bouche les oreilles comme une référence au personnage masculin du Pouvoir de la musique, tandis que règne une atmosphère pastorale et idyllique. Le titre renvoie au dieu de la Forêt et des Bergers,  évoquant l'utopie poétique de l'Arcadie."

Il peint ce tableau étrange et révélateur où il est représenté avec Olga mais entre les 2, la poupée Alma Malher s'invite qui trouble l le tete à tete.

Auto-Portrait de l'Artiste Dégénéré.

 "Il est déclaré « artiste dégénéré » par les nazis (il sera obligé de se réfugier en Grande-Bretagne, dès l'année suivante). Il réalise alors cet autoportrait, dont le titre s'accompagne, avec une noire ironie, du qualificatif infamant. L'autoportrait de 1937, s'il traduit le doute intérieur et les angoisses du peintre sous la spontanéité et la rapidité de la facture, n'offre point au regard les signes tangibles de cette prétendue dégénérescence".

 "Son Autoportrait en « artiste dégénéré » (1937), lumineux et chatoyant, dit tout son courage : le menton haut, il toise le spectateur en artiste courageux, avec derrière lui un paysage verdoyant, comme la promesse de lendemains meilleurs.
Mais Hitler est déjà tout puissant. Ses œuv
res sont saisies dans les musées de Dresde dès 1932, exposées dans l’exposition itinérante et moqueuse « Entartete Kunst » (« Art dégénéré »), vendues aux enchères pour contribuer à l’effort de guerre."

Ferdinand Bloch-Bauer  , est un fabricant de sucre austro-tchèque et un grand collectionneur. Il épouse, en 1899, Adèle, qui devient la muse de son ami Klimt. Son épouse meurt prématurément en 1925. En 1938, contraint à l'exil après l'Anschluss, il meurt, peu de temps après la guerre  sans avoir pu récupérer les portraits de son épouse réalisés par Klimt.De son immense collection, Ferdinand Bloch-Bauer ne récupérera de son vivant, en 1945, que son portrait réalisé par Oskar Kokoschka, considéré comme « art dégénéré » par les nazis.

L'Oeuf Rouge. C'est un tableau qui dénonce les accords de Munichen 1938. Hitler grimaçant fait faire à un Mussolini énorme.

"Entre 1939 et 1941, alors qu'il est en exil à Londres, Oskar Kokoschka peint L'Œuf rouge. Le tableau fait partie des œuvres politiques de l'artiste et dépeint la destruction de la Tchécoslovaquie en 1939 à la suite des accords de Munich.


Des caricatures étonnamment grotesques d'
Adolf Hitler et de Benito Mussolini donnent au tableau un penchant satirique. La bouche d'Hitler est grande ouverte et il semble crier une tirade haineuse du côté supérieur gauche de la toile. Immédiatement devant lui, un rat est représenté en train de détaler sur le bord de la table. On pourrait prétendre qu'il vient de sortir de la bouche d'Hitler . Pendant ce temps, la tête colossale et gonflée de Mussolini remplit tout le côté droit de la toile, faisant écho au motif de l'œuf au centre.  

Une interprétation possible du tableau est que la France - symbolisée par le chat obèse - et l'Angleterre - représentée par le lion qui tient sa cour sur deux livres intitulés "In Pace Munich" - se dérobent à leurs devoirs de puissances protectrices".

Prague, Nostalgie.

"Il s'agit du premier tableau que Kokoschka a réalisé à Londres, après avoir fui la Tchécoslovaquie en 1938. Peint de mémoire, il présente la célèbre vue de Prague avec l'ancien pont Charles et la cathédrale en arrière-plan. On pense que le couple d'amants près du rivage est Kokoschka et sa future épouse Olda. En référence à l'émigration de Kokoschka, le couple est invité à monter dans un bateau. Un visage ressemblant à celui de Kokoschka est affiché sur le panneau d'affichage à droite. Dans ce tableau, l'artiste exprime son chagrin pour la perte de son pays d'origine."



 

"La vue est de la maison de Kokoschka à Polperro, Cornwall. Il y vécut entre 1939 et 1940, après avoir quitté Prague, République tchèque (alors Tchécoslovaquie), pour échapper à l'invasion nazie. Cette œuvre fait référence à l'occupation allemande. Kokoschka a déclaré que le nageur (un autoportrait) représentait la Tchécoslovaquie et le crabe Neville Chamberlain, le Premier ministre britannique de l'époque. Il a expliqué que le crabe "n'aurait qu'à sortir une pince pour le sauver de la noyade, mais reste à l'écart". Kokoschka a affirmé que ses peintures de paysages devenaient souvent des métaphores politiques s'il les apportait à Londres inachevées, comme dans ce cas."

 La Lorelei: pour expliquer ce tableau j'ai reproduit la traduction qui figure sur le cartouche à la Tate Gallery.

"Le titre Loreley fait référence à une mythique jeune fille du Rhin, qui a attiré les marins à leur mort. Kokoschka a expliqué que sa peinture se moquait des prétentions britanniques à la suprématie maritime : « Britannia ne règne plus sur les vagues ; l'inaction a trop duré ; une pieuvre nage avec un trident, emblème de la puissance marine. La reine Victoria, qui a fait de la flotte britannique une position dominante, chevauche un requin et fourre dans sa bouche des marins blancs, bruns et noirs. Seule la grenouille sur sa main refuse d'accepter le même sort : elle représente l'Irlande, où il n'y a de reptiles que les grenouilles"

"Avec la quatrième de ses allégories politiques, Anschluss - Alice in Wonderland, le message politique de Kokoschka devient de plus en plus évident. Il y a plusieurs niveaux d'explications à cette peinture. Comme la première partie du titre l'indique, cette toile aborde la récente annexion de l'Autriche par l'Allemagne. La peinture contient également des éléments symboliques plus subtiles, suggérés par la seconde partie du titre. Dans l'arrière plan de la scène chaotique, Vienne, l'ancienne ville de Kokoschka est engouffrée dans les flammes. "Wien", est gravé sur le fronton du bâtiment néoclassique, rappelant les bâtiments du dix-neuvième siècle le long de la Ringstraße. Devant ce cadre architectural, le peuple réagit aux flammes par une fuite affolée, suggérant que la capitale culturelle de l'ancien Empire autrichien pourrait se réduire à une telle destruction sociale.
Dans le premier plan à droite de la peinture, une jeune femme nue aux cheveux blonds tressés se tient debout. Elle symbolise l'Autriche et sert de représentation visuelle de l'idéal aryen d'Hitler. Il ne s'agit pas d'un modèle sain, robuste, comme souvent dépeint dans la propagande Nazi : sa figure est disproportionnée et sa pose maladroite. Dans une tentative de pudeur, elle saisit une grande feuille de son bras gauche pour se couvrir, faisant allusion aux traditions sculpturales classiques. Kokoschka l'a placée au centre d'un enclos entouré de fils barbelés, la séparant du chaos dans les rues. Elle tend son bras droit vers l'extérieur, pointant du doigt le spectateur, un avertissement au public britannique de Kokoschka qu'une telle scène pourrait se dérouler chez eux et d'être prudent dans leurs choix politiques.
 
Marianne-Maquis:

1942 est une année de blocage pendant la Seconde Guerre mondiale. Alors que l'Union soviétique combattait les nazis à l'Est, des appels répétés ont été lancés aux gouvernements britannique et américain pour qu'ils lancent un deuxième front en Europe occidentale. Dans Marianne-Maquis , Kokoschka exprime sa critique du retard des alliés en montrant les chefs de guerre britanniques Winston Churchill et le général Montgomery en train de boire du thé au Café de Paris à Soho. La figure centrale est Marianne, la personnification traditionnelle de la France, désormais liée au "Maquis", la Résistance française.

 Après la guerre, Kokoschka acquiert la citoyenneté britannique en 1947. Après son exil à Londres, où il avait pu échapper aux nazis, l’artiste ne retourne pas dans son pays d’origine. Il préfère s’installer dans une petite villa à Villeneuve qui domine les rives du lac Léman, non loin du Château de Chillon, où il passe
la majeure partie de son temps de 1953 jusqu’à sa disparition en 1980.

_Pendant toute sa vie Oskar Kokoschka (1886-1980) a fréquenté les musiciens les plus célèbres de son époque tels que les compositeurs Arnold Schönberg et Alban Berg, le chef-d’orchestre Wilhelm Furtwängler ou le violoncelliste catalan Pablo Casals dont il a fait de nombreux portraits.

Entre août et septembre 1954, Kokoschka réalise deux portraits du violoncelliste espagnol Pablo Casals, musicien engagé contre les dictatures, et en particulier contre celle de Franco, en Espagne.

Casals aurait demandé s'il pouvait travailler son instrument pendant les séances de pose, à quoi Kokoschka aurait répondu qu'il ne pouvait peindre son portrait que s'il le faisait.

Le musicien est représenté concentré sur son instrument entouré d'une aura bleue. Une large place est accordée au vide comme pour figurer l'immatérialité de la musique. 

Grand amateur de littérature scandinave, Kokoschka s'est identifié à Peer Gynt, protagoniste du drame de Henrik Ibsen écrit en 1867. Cet anti-héros, aventurier mais lâche, ne réussit pas à trouver sa place dans le monde, avant de comprendre, au seuil de la mort, que seul l'amour peut donner un sens à sa vie.

Comme souvent dans les dernières œuvres de Kokoschka, l'artiste se confond avec les personnages qu'il peint, et la mère de Peer Gynt au premier plan du tableau reprend ses propres traits. 

Autre toile, le double portrait d'Oskar et d'Olda.

Parmi les paysages tardifs de Kokoschka qui conservent l'énergie de ses œuvres antérieures figure Delphi (1956)
 

 Berlin en 1966;


"En 1951, Kokoschka séjourne souvent à Hambourg, où il fréquente son vieil ami Carl Georg Heise, désormais directeur de la Kunsthalle. L'artiste avait réalisé son double portrait avec son compagnon, Hans Mardersteig, trente ans plus tôt, projet qui devait se refermer par un système de charnières à la manière d'un coffret.

Pour compléter ce projet, Kokoschka réalise cette troisième toile pour ne pas laisser vierge la face cachée du diptyque refermé. Il offre à Heise La Forme magique, tableau énigmatique où le peintre se présente sur scène à la manière d'un magicien.

Faisant apparaître un lapin avec l'ombre de ses mains, Kokoschka lie ici la magie créatrice du peintre au pouvoir trompeur des images. L'inscription à l'arrière du tableau, "La Forme magique du Dr Bassa", fait référence à l'opéra L'Enlèvement au sérail, de Mozart, que Kokoschka et Heîse ont vu ensemble en 1919." 


"Peu après l'établissement de la dictature militaire en Grèce, Olda Kokoschka assiste à une représentation de la comédie d'Aristophane Les grenouilles.

Les acteurs y adaptent le message politique de la pièce antique à l'actualité de leur pays. Kokoschka reprend le motif du chœur de grenouilles coassant. Symbolisant dans la pièce originale le peuple qui se soumet aveuglément au dieu Dionysos, le peintre l'interprète ici comme l'esprit qui ne peut distinguer la vérité du mensonge."

Il signe tristement au dos de son tableau "Europe's Sunset 1968 Prague 23 8 68" en référence à l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques à la suite du Printemps de Prague.

La dernière œuvre présentée ici est le dernier tableau peint par Kokoschka. Le titre "Time, Gentlemen Please". C'est comme ça, qu'en Angleterre, le barman annonce l'heure de la fermeture. Kokochka se dirige vers la sortie. La mort montre la blessure au coeur de l'artiste. Il a été profondément marqué par le dernier autoportrait de Rembrandt, il sent sa mort prochaine, et avance sans hésiter vers la sortie. Une façon élégante de conclure , cette exposition magistrale. Kokoschka s'éteint à Montreux en 1980;
 
 Pour rappel, la première partie: https://www.lemounard.com/2022/12/paris-oskar-kokoschka-un-fauve-vienne.html


 
 

 

 

 



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