dimanche 20 novembre 2022

VENISE, LES SURRÈALISTES CHEZ PEGGY GUGENHEIM

 On accède au musée Peggy Gugenheim en travaersant le Grand Canal avec le traghetto, une gondole publique pratique et bon marché qui permet d'accoster au Dorsoduro sans franchir le seul pont qui le relie au quartier Saint Marc. Cette collection est exposée  dans le palais Venier dei Leoni situé au bord du Grand Canal, lieu où vécut Peggy Guggenheim durant les trente dernières années de sa vie, et qui avait appartenu au collectionneur Marcel Nemes, qui le restaura. Peggy avait fait don de sa collection et de sa demeure à la fondation Guggenheim au milieu des années 1970. Le musée a été inauguré en 1980 après sa mort en 1979, et Peggy Guggenheim y est  enterrée. Elle fut mariée de 1942 à 1946 à Max Ernst.

 Dans la cour, une statue de bronze par Giacometti, "la femme debout" 1947."Premier exemple du style mature auquel Alberto Giacometti est généralement identifié, cette figure est plus allongée et dématérialisée que Woman Walking, bien qu'elle conserve la frontalité et l'immobilité de cette sculpture. Une sensation de fragilité fantomatique détache la figure du monde qui l'entoure, malgré la matérialité croustillante des surfaces, aussi animées et sensibles à la lumière que celles de Rodin. Giacometti a exploité les contradictions de la perception dans les sculptures obsédantes et incorporelles de cette période. Ses personnages de la taille d'une allumette de 1942-1946 démontrent l'effet de la distance sur la taille et commentent l'idée que l'essence d'un individu persiste alors même que le corps semble disparaître, c'est-à-dire devenir inexistant."

En pénétrant dans le musée, la première oeuvre que l'on découvre est un Picasso de 1937. "Bien que peint dans la période proche de celle de la création de « Guernica », pendant la guerre civile espagnole qui a tant marqué Pablo Picasso, ce tableau « La Baignade » est une alternative à la violence, une paisible journée à la plage. Deux jeunes filles jouent avec un petit bateau tandis qu’un baigneur les observe. Est ce un voyeur qui épie des jeunes filles nues et attirantes. Un tableau qui rappelle le mythe de Diane au bain."



Cette toile, je ne me souviens plus: Braque? Juan Gris ? Gleizes ou un autre...

 

 

 

 

 

 

"Lors de son voyage aux Pays-Bas en 1928, Joan Miró fut fortement impressionné par les Maîtres Flamands. De fait, il retourna à Paris en emportant avec lui de nombreuses reproductions, la plupart sur cartes postales, des grands Maîtres Flamands du XVIIe siècle. Joan Miró s’inspira ainsi de « La Leçon de Danse » de Jan Steen pour son tableau « Intérieur Hollandais ». Dans ce tableau, Miró a agrandi toutes les formes humaines et animales et, dans le même temps, réduit tous les objets représentés. Ainsi, la toute petite fenêtre, réduite à un minuscule carré, en haut du tableau. La volonté de Miró est de mettre la « vie » au premier plan. La vie et le mouvement puisqu’en sus de l’agrandissement de l’humain et de l’animal, les sons, les notes de musique sont également mis en valeur. Un tableau gai, vivant et plein de mouvement.


"Les hommes dans la ville" Fernand Léger.
« Nul n'a mieux su voir que Léger la place éminente de la couleur dans le monde d'aujourd'hui. Nos plus calmes paysages se hérissent de constructions métalliques et de panneaux publicitaires, les murs de nos cités sont balafrés d'affiches, nos rues d'enseignes criardes. L'homme actuel est plongé dans une bataille sauvage de couleurs. Fêtes foraines, théâtres, cinémas, magasins, vitrines, coupent et recoupent leurs spasmodiques lueurs. Autant de contrastes violents qui refluent dans la peinture de Léger et y détermineraient une insupportable cacophonie, s'il ne les pliait à sa volonté et à son style.   Cette couleur, il ne la mélange jamais, il l'emploie pure et en larges aplats, il la dissocie même de la forme, la rendant ainsi à sa destinée propre. Et c'est ainsi que, par accords et oppositions, mouvements d'avance et de recul de tons, Léger a créé un nouvel espace. Ce nouvel espace qui est sans doute la principale contribution de Léger à la peinture moderne, n'est pas suggéré seulement par des couleurs contrastées, mais aussi par des formes contrastées. Tout d'ailleurs est contraste dans son art.Contraste de motifs : des fleurs et des éléments mécaniques, un personnage et un trousseau de clefs. Contraste de lignes : une échelle et une roue, un disque et un damier. Contraste de rythmes : un tronc d'arbre et une danseuse, un madrier et une hélice en rotation. Les objets les plus hétéroclites peuvent se trouver réunis sur le même tableau, aussi bien que les formes les plus statiques avec les plus dynamiques. Parfois l'architecture disparaissant, la toile offre des objets dispersés dont nul lien de nature, de logique, de vision, ne justifie la présence. Si disparates pourtant, si rudes que soient les contrastes, Léger parvient à tout concilier grâce à une distribution exacte des couleurs, des rythmes, des pleins et des vides, grâce encore aux lignes qu'il faufile à travers la composition et dont il ourle les bords."

La formule d'un critique littéraire peut aussi s'appliquer à Léger : Composer l'ordre avec l'anarchie. »
Frank Elgar
« Je me souviens d'avoir vu Fernand Léger à Venise à l'occasion d'une Biennale.

Tous les peintres qui passaient là, de Kokoschka à Raoul Dufy, croquaient une ou deux gondoles à la sauce aquarelle ou bien, d'une table du Florian ou d'une fenêtre du Quadri peignaient les cascades de lumière qui rebondissent sur la place Saint-Marc depuis les coupoles de la basilique et la façade éclatante du palais des Doges.
Fernand Léger, lui, passait, se promenait, et quand on lui demandait ses impressions, il répondait : c'est très beau, mais avez-vous vu Mestre ?

Mestre, c'est l'inverse de Venise. C'est la ville industrielle où les torches des raffineries de pétrole brûlent haut dans le ciel, où les sphères des dépôts brillent dans le soleil, où l'on voit des cargos rouges et noirs glisser entre les fermes, car la campagne est aussi un port. C'était ce spectacle-là que Fernand Léger préférait. " 
Pierre Descargues
Le Bacon , j'en ai vu de plus extraordinaire, "Etude pour un chimpanzé.

Peggy devait plus l'apprécier que moi puisqu'elle était accrochée dans sa chambre à coucher. Personnellement, je suis toujours obsédé par les "tauromachies"de Bacon.

"Influencé par Giorgio de Chirico, René Magritte s’est ingénié à extraire les objets de leur univers, à les soustraire à leur fonction première de manière à modifier la perception que nous en avons, pour leur conférer d’autres significations et une irrationalité toute surréaliste. Un effet obtenu en modifiant également les proportions réelles des objets utilisés par rapport au décor dans lequel Magritte décide de les « poser ». Ces trois sphères énormes flottant dans ce banal paysage campagnard nous font penser à des objets volants non identifiés, haut-parleurs, grelots géants… en tout cas sonores, comme le titre du tableau le suggère : « La Voix des Airs ». 

De Chirico, justement, qu'on a vu à Paris , il y a 2 ans. Ce tableau de Giorgio de Chirico, « La Nostalgie du Poète, peint en 1914 est une œuvre qui fait référence à son ami Guillaume Apollinaire. »
"Nous sommes ici face à une accumulation de symboles de ce monde « préformaté » qui nous entoure. Formes à reproduire à l’identique, formes produites en série, sont le résultat du monde qui s'annonçait au début du XXe siècle. Dans le haut du tableau, un moule à gâteau métallique, en forme de poisson, prêt à gober le symbole qui se trouve sous sa bouche. Un symbole qui fait aussi référence à l’hameçon de nos vies paramétrées. Sur la droite se trouve un mannequin de tailleur, lui aussi est préformaté, avec ses tracés en pointillés, comme le cheminement de nos vies au service d'un but productif. Enfin, au premier plan, le poète à la tête de plâtre sortie du moule avec ses lunettes noires qui lui cachent les yeux et travestissent ce monde qu'il rejette. Tout ici est figé, prévu, déterminé, programmé, d'où la nostalgie du poète ! "

"Imprégné des œuvres du peintre symboliste Arnold Böcklin et de ses lectures de Schopenhauer et Nietzsche, Chirico commence vers 1910 à peindre des toiles qu’Apollinaire qualifiera de « métaphysiques », c’est-à-dire qui décrivent une réalité qui « va au-delà de la nature ». De Chirico souligne que « Chaque chose a deux aspects : l’un banal que nous voyons presque toujours et que les hommes voient en général ; l’autre spectral ou métaphysique, que peuvent seulement apercevoir de rares individus dans des moments de clairvoyance et d’abstraction métaphysique, comme certains corps occultés par la matière, impénétrables aux rayons solaires, ne peuvent apparaître que grâce à la puissance de lumières artificielles comme les rayons X, par exemple ».

Pour exprimer cette réalité métaphysique, il utilise comme cadre, l’architecture des places italiennes, en particulier celles de la ville de Turin. Juste avant son arrivée à Paris, il a en effet séjourné dans cette ville pour visiter les lieux où Nietzsche avait sombré dans la folie. Dans certaines lettres, Nietzsche évoquait « la grandeur et la magnificence spatiale » de la ville de Turin, ses « places graves et solennelles » marquées par « une pureté radieuse » et par le « plus profond silence ». Les premiers tableaux qu’il peint à Paris ont donc pour cadre les hauts lieux de la folie nietzschéenne."

Un autre Magritte, "L'empire des Lumières"

"René Magritte réalisa 17 versions de ce tableau. Elles ont toutes pour points communs une scène urbaine de nuit sur un fond de ciel bleu clair empli de cumulus. Pas d’éléments surnaturels, irréels, pas d’objets détournés de leur fonction dans ce tableau, juste la confrontation du jour et de la nuit au même moment et au même endroit. La lumière vient-elle d’en bas ou d’en haut, d’un ciel uniforme sans éclairage précis, où est le soleil ? Ici c’est le ciel qui devient presque surnaturel, « anormal » et le paysage urbain, nocturne, mais éclairé par ce lampadaire qui rassure."


"Yves Tanguy, né à Paris en 1900 voyage dès ses 18 ans en Afrique, Amérique du sud et Angleterre puis après son service militaire, il fait un service civique en Tunisie. Il commence à peindre à cette époque et trouve une place auprès de, entre autres, Ernst, Masson, Miró et Picasso dès 1927 dans une exposition surréaliste à Paris. Après 1930, on remarque dans ces toiles, des images de formations géologiques qu’il a observé lors de voyages en Afrique. En 1939, il rencontre la peintre Kay Sage et part voyager puis vivre aux Etats Unis avec elle."

Une femme peintre a une place particulière et privilégiée dans ce musée: Pegeen Vail Guggenheim.

"Pegeen Vail Guggenheim est née le 18 août 1925 en Suisse. Elle est la fille de Peggy Guggenheim et du peintre Laurence Vail. Elle passa son enfance en France avec ses parents et resta avec sa mère lorsque ses parents se séparèrent au début des années 30.Elevée dans l’art et vivant au milieu des artistes, son propre talent ne demandait qu’à s’exercer.
Dès l’âge de 12 ans, elle était exposée à la galerie de sa mère à Londres dans le cadre de l’exposition « Exhibition of Paintings and Drawings by Children ». En contact avec Yves Tanguy, ils échangèrent même leurs œuvres alors qu’elle n’avait que 12 ans.

En 1943, elle participait à l’exposition « Exhibition by 31 Women » qui se tint à la galerie « Art of This Century » de Peggy Guggenheim à New York.
Plus tard, elle se lia avec le peintre Jean Hélion, avec lequel elle se maria par la suite. En 1945, elle participa à une nouvelle exposition « The Women » organisée à New York par sa mère. La même année, elle eut droit à une exposition personnelle, toujours à la « Art of This Century » de Peggy Guggenheim à New York. Son style naïf, plein de couleurs et influencé par le surréalisme et les artistes qu’elle avait pu fréquenter grâce aux relations de sa mère, montre un monde de poupées, réel et irréel à la fois. Raymond Queneau disait à propos des œuvres de Pegeen Vail :« Le monde que nous propose Pegeen s’affirme un peu plus réel que le vrai puisqu’il semble plus voisin du Paradis Terrestre.Aucune culpabilité ne vient ternir ses couleurs, accabler son dessin. »

Raymond Queneau

 Son mariage ne fut pas aussi heureux qu’elle l’espérait; dépressive, elle devint alcoolique et suivit plusieurs traitements de psychanalyse au milieu des années 50. Elle revint alors à Venise et s’installa chez sa mère au Palazzo Venier, actuel siège du musée Peggy Guggenheim. En 1957 elle accompagna Peggy Guggenheim à Londres à l’occasion de l’exposition consacrée à Francis Bacon à la galerie Hanover et y rencontra l’artiste Ralph Rumney. Elle se maria avec Rumney et ils habitèrent pendant un an dans l’île Saint-Louis à Paris avant de retourner vivre à Venise. Au début des années 60, elle rencontra l’artiste Egidio Costantini avec lequel elle réalisa plusieurs sculptures en verre.
En 1966 elle réalisa plusieurs expositions de ses œuvres au Canada, à Philadelphie ainsi qu’à Stockholm. Alors que son succès artistique devenait une réalité internationale, elle entra dans une nouvelle phase de dépression et mourut à Paris le 1er mars 1967, après avoir pris une dose trop importante de médicaments.

À propos de sa fille, voici ce qu’écrivit Peggy Guggenheim :
« Ma chère Pegeen, qui ne fut pas seulement une fille, mais aussi une mère, une amie et une sœur pour moi… Sa mort inattendue et mystérieuse me laisse affligée.
Il n’y avait personne au monde que je n’aimais autant. J’ai l’impression que la lumière a quitté ma vie."

Anselm Kieffer. "Tes cheveux d'or Margarethe"

"En 1945, Paul Celan composa un poème intitulé "Death Fugue" du camp de concentration où il était emprisonné. Le poème oppose deux femmes : Shulamith, l'une des ouvrières juives du camp, et Margarete, une maîtresse aryenne de l'officier président de la Gestapo. Dans cette peinture sculpturale, Kiefer s'inspire du poème de Celan comme moyen d'explorer les relations complexes entre l'identité allemande et l'histoire du monde. Ici, les effets de la guerre marquent le paysage de l'Allemagne. La cendre recouvre les fleurs dans le coin inférieur droit tandis que la paille est placée comme des barreaux de prison au premier plan. La toile documente un processus de transformation : la paille se désintègre en cendres lorsqu'elle est exposée au feu. À travers cela, les fantômes de Shulamith et Margarete sont évoqués : réduits uniquement à leurs cheveux contrastés ; fait du même élément mais mis en opposition par les feux de l'histoire."

L'Anti pape de Max Ernst en 1941. « L’Antipape » fut peint entre décembre 1941 et mars 1942, alors que Max Ernst venait de fuir l’Europe pour s’installer aux États-Unis.


"Un tableau dans la partie droite duquel Peggy Guggenheim, est à la fois représentée comme une colonne verte et une femme amoureuse, légèrement habillée de rose, en train de caresser un étrange cheval qui n’est autre que Max Ernst lui-même. Ernst précisa pour sa part que le personnage central, présenté de trois quarts, était la fille de Peggy, Pegeen. Une Pegeen au double visage qui regarde le couple avec sa mère à droite et, pensivement, le paysage lagunaire de l’autre côté. Un tableau complexe et ambigu où l’autre femme-cheval pourrait être Leonora Carrington avec laquelle Max Ernst avait une relation au même moment, d’où la présence de la lance qui divise le tableau en son centre, une division qui se rapportait à la rupture, devenue irrémédiable, de la relation amoureuse entre Peggy et Max."

Un petit tour sur la terrasse qui donne sur le Grand Canal. Une statue y trône. L'ange de la Ville"

"Marino Marini est un Toscan, né à Pistoia, tout près de Florence, en 1901. Il commença par peindre, mais sans jamais abandonner le pinceau tout au long de sa vie, c’est par la sculpture qu’il s’affirmera réellement, et ce à partir de 1922. Ses sources d'influences furent les œuvres d’Arturo Martini, mais également les œuvres étrusques.

Dans le cercle de ses amis figure De Chirico et Campigli, tous deux également exposés au musée Peggy Guggenheim.
 Dans le domaine de la sculpture, Marino Marini se lia d’amitié avec Alberto Giacometti. Dans le cercle de ses relations et amitiés, on peut aussi citer Calder , Jean Arp et Henri Moore.

Son « Ange de la Ville », reflète bien des influences étrusques, mais également d’Europe du Nord. Le cheval est immobile, le cou et la tête tendus vers l’avant à l’horizontale, les oreilles collées, la bouche entrouverte. Immobile, mais puissant à la fois. Une puissance, virile et sexuelle, qui s’affirme encore plus dans son cavalier, sexe dressé, bras et jambes écartés, le visage tendu vers le ciel, en extase."

Une belle visite encore, quand on pense que Bianchi prétend faire de Clermont la capitale européenne de la culture. Un bouffon, l’apparatchik, connaît-il seulement les villes de Sienne, Florence, Venise, Rome, Madrid ou Barcelone, Vienne ou Salzburg. Décidément, je resterai toujours plus Malraux que Lang, la culture en col Mao et veston rose, ça leur a permis  de bien vivre. On quitte Peggy Guggenheim, une mécène, contrairement à ceux d'aujourd'hui, désintéressée et avec un flair sans faille.

Partons à la découverte du Dorsoduro.






















 





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