mardi 29 novembre 2022

PARIS, L'EXPOSITION FUSSLI AU MUSÈE JACQUEMART ANDRÈ


 Ce matin, nous allons visiter l'exposition Fussli au musée Jacquemart-André. Le musée Jacquemart-André de Paris est à l’origine une demeure de grands bourgeois. "L’hôtel particulier fut commandé en 1868 à l’architecte Henri Parent par Édouard André (1833-1894), héritier d’une des plus grandes fortunes du Second Empire. Avec la portraitiste Nélie Jacquemart (1841-1912) – qu’il épousa en 1881 -, il forma un insatiable duo de collectionneurs. Édouard André fut une personnalité incontournable du monde de l’art à la fin du XIXe siècle, propriétaire de la
Gazette des beaux-arts et président de l’Union centrale des arts décoratifs. Aux côtés de son mari, Nélie Jacquemart imposa rapidement sa « patte », mettant en place un réseau d’acheteurs dans le monde entier, lui permettant d’acquérir des objets précieux de toutes provenances."Henri Parent est aussi l'architecte auquel on doit les 3 hôtels particuliers de la famille Menier autour du parc Monceau. L’architecte s’inspire manifestement des XVIIe et XVIIIe siècle français. Surplombant le boulevard, la façade sur le jardin est rythmée par des pilastres. Elle présente une rotonde centrale et des pavillons aux extrémités. Un porche situé sur le côté monte vers la cour d’honneur située à l’arrière. La façade sur la cour présente un avant-corps précédé d’un portique sur colonnes.L’architecture de cet hôtel particulier est caractéristique des constructions du Second Empire avec une vaste allée qui permettait d’accéder au porche avec les voitures à cheval qui stationnait devant le perron couvert ce qui permettait aux dames d’être abritées pour pénétrer dans le bâtiment sans être soumises aux intempéries. "L’avant-corps à refends de la façade sur cour est précédé d’un perron, gardé par des lions, et d’un portique monumental à colonnes d’ordre ionique, qui se détache en légère saillie. Des baies cintrées éclairent le rez-de-chaussée ; les baies rectangulaires de l’étage encadrent la travée axiale, plus haute, et couronnée d’un fronton triangulaire dans lequel s’inscrit le monogramme des propriétaires. Une corniche à modillons, surmontée d’une balustrade de pierre, court à la base de la toiture, qui comprend quelques lucarnes. La Cour d’honneur est fermée d’un mur en hémicycle orné de refends et d’arcades aveugles, qui donnait accès, par l’ouverture d’une grande arche, à un manège, une sellerie, des écuries et une remise."

Avant d'accèder à Fussli, nous admirons quelques Boucher comme la Vénus endormie. "Dans Le sommeil, Vénus tient un collier de perles de sa main gauche. Cependant, elle était d’abord représentée armée de deux flèches que l’on distingue encore très bien sous la peinture. Il s’agit donc un repentir, c’est-à-dire une reprise de l’artiste, dont la mise en forme initiale ne l’avait pas satisfait.



 

Les parquets sont superbes, les plafonds somptueux, les escaliers majestueux

"La fresque relate le passage d’Henri III (d’ascendance italienne par sa mère Catherine de Médicis) à Venise alors qu’il rejoignait Paris pour prendre la succession de son frère Charles IX sur le trône de France. Il y est alors reçu par le doge Contarini. La fresque est saluée par la Gazette des Beaux-Arts en 1896 : « Aucun Tiepolo ne peut nous être plus à cœur, car on le dirait fait pour nous. Le dernier grand peintre vénitien et un coin d'épisode de l'histoire de France : n'est-ce pas le plus radieux mélange de vénitien et de français ?"


Voici maintenant , l'exposition Fussli: Johann Heinrich Füssli (1741-1825) est le fils d’un père peintre et historien de l’art, Johann Heinrich  est un temps pasteur et commençe une carrière artistique assez tardivement, lors d’un premier voyage à Londres, sous l’influence de Sir Joshua Reynolds, président de la Royal Academy. Après un long séjour en Italie, au cours duquel il est fasciné notamment par la puissance des compositions de Michel-Ange, il revient s’installer à Londres à la fin des années 1770. Artiste atypique et intellectuel, Füssli puise son inspiration dans les sources littéraires qu’il passe au filtre de son imagination. Il développe dans sa peinture un langage onirique et dramatique, où se côtoient sans cesse le merveilleux et le fantastique, le sublime et le grotesque.

La mort de Didon fut l'un des grands thèmes tragiques issus de l'Antiquité et qui menèrent entre autres les Baroques à trouver un terrain favorable à l'expression des passions : théâtralisation des personnages et des corps en mouvement de tension, enchevêtrement des lignes courbes sur fond de lignes obliques visant à la naissance de la perspective, travail à partir de contrastes dramatiques de lumière... tout concourt à faire de ce sujet, la reine de Carthage aux prises avec des sentiments douloureux, la source d'une inspiration qui a touché pourtant bon nombre d'époques au cours de l'histoire. Avec sa propre version de La mort de Didon (1781), Füssli se démarque du même motif peint par Reynolds quelques mois auparavant. D’instinct, il a compris que pour percer dans la profession, il faut faire parler de soi. De fait, tous les regards écarquillés s’étaient immédiatement tournés vers l’impudent trublion… pour ne plus le lâcher des yeux. Il faut dire que jusqu’à sa mort, l’amoureux impénitent, s’éprenant de chacune de ses modèles, dont l’écrivain féministe Mary Wollstonecraft, la mère de la future autrice de Frankenstein, n’aura cessé de porter la contestation au cœur de l’Establishment, quand bien même ce dernier le nourrissait.""Le sang sur l’épée d’Énée coule, chaud encore. Pourtant le cœur de Didon ne palpite plus. À ses pieds, comme une pieta, sa sœur qui pleure son suicide. Pour achever la trinité, le buste d’une femme, au-dessus de la reine, qui coupe dans un tourbillon les cheveux de la morte : elle s’empare ainsi de son âme. Ce tableau condense le mouvement de l’âme et le statisme du corps mort en superposant le réel, le terrestre et le divin, l’imaginaire. Il montre l’interaction entre deux mondes, dévoilant les points de touche entre ce qui est et ce qu’on devine. Voilà ce qui meut l’artiste, voilà ce qui fascine le spectateur : les contacts fugitifs entre deux royaumes (l’immanence, et la transcendance), deux états (le sommeil et l’éveil, la vie et la mort)."

Goethe lui même en dit "quel feu et quelle furie en cet homme."  Son Autoportrait  montre un homme bien ordinaire bien qu'il soit proche du physiognomostiste Kaspar Levater, son portrait ne laisse pas apparaitre les tourments qui le hantent et le génie qui l'habite. La physiognomonie est une méthode pseudo-scientifique fondée sur l'idée que l'observation de l'apparence physique d'une personne, et principalement les traits de son visage, peut donner un aperçu de son caractère ou de sa personnalité. 

On lui prête environ soixante-dix œuvres d’après les pièces de William Shakespeare, exécutées entre 1768 et 1815, et inclut les peintures, les gravures, ainsi que les dessins. Âgé d’une vingtaine d’années et vivant encore à Zurich, il reçoit l’initiation littéraire de son mentor Johann Jakob Bodmer identifié comme le père spirituel du Sturn und Drang, mouvement germanique préromantique (1750-1780) où Shakespeare faisait figure d’icône.

Lady Mc Beth somnambule: Lady Macbeth, hantée par ses crimes, est en proie à une crise de somnanbulisme; à l'arrière- plan, sa servante et son médecin, le visage masqué, assistent à la scène.

 

Dans cette autre scène, Mc Beth vient d' assassiner le roi d'Ecosse Duncan. Terrifié par son geste, il rapporte le poignard sanguinolent à son épouse, Lady Mc Beth. On reverra plusieurs fois dans l'exposition cette image de la femme dominatrice.

"Après que trois sorcières prédisent à Macbeth qu'il deviendra roi d'Écosse, celui-ci, encouragé par son épouse Lady Macbeth, élabore un plan diabolique pour s'emparer du trône. Leur sentiment de culpabilité et la paranoïa plongeront alors les deux protagonistes dans la folie. Füssli peint trois profils semblablement caricaturaux avec un geste identique du doigt sur les lèvres est partiellement fidèle à la lettre du texte : « Quels sont ces êtres si desséchés et si sauvages dans leur vêtement, qui ne semblent pas être habitants de la terre et s’y trouvent pourtant ? {…} Vous semblez me comprendre, car chacune de vous met à l’instant son doigt crevassé sur ses lèvres de parchemin. Vous semblez femmes et vos barbes pourtant m’interdissent de croire que vous l’êtes. »

Gertrude, Hamlet et le fantôme du père d'Hamlet. On se situe à la scène 3 de l'Acte IV. Hamlet est dans la chambre de la reine, il vient de tuer Polonius (le conseiller du roi) qui se cachait derrière la tapisserie puis l'instant d'après, fait grief à sa mère d'avoir offensé la mémoire du roi défunt en épousant Claudius. C'est alors que le fantôme apparaît. Dans le texte de Shakespeare, une didascalie l'indique clairement au lecteur: "Entre le spectre dans son vêtement de nuit". On se rappelle que le spectre lui avait déjà parlé une première fois au début de la pièce dans le but de lui révéler l'identité de son meurtrier, à savoir Claudius, son propre frère. S'il vient à nouveau hanter Hamlet, c'est pour le presser un peu de passer à l'action: "Ma venue n'a pour but qu'aiguiser ton dessein presque émoussé.  Cependant on se rend compte assez vite que la mère, elle, ne voit pas le spectre puisqu'elle déclare à son fils: "... qu'avez-vous vous même,/ A tenir vos yeux fixés sur le vide/ Et à parler à l'air immatériel ?/ Votre esprit égaré se trahit dans vos yeux/ Et comme des soldats réveillés par l'alarme,/ Vos cheveux qui étaient couchés s'animent, se soulèvent/ Et demeurent dressés. Mon noble fils,/ Sur la flamme et le feu de ta fureur,/ Jette la froide patience. Que vois-tu ?"

Encore Shakespeare, "Le Songe d'une Nuit d'Eté"puis Juliette au chevet de Romeo qui se meurt.


 Ici, Fussli illustre "Beaucoup de bruit pour rien" toujours de Shakespeare:  " il traite à deux reprises la première scène du troisième acte dans laquelle Béatrice épie Héro et sa suivante Ursula en train de converser. Se sachant écoutées, les deux complices énoncent des fausses rumeurs qui plongeront Béatrice dans un imbroglio amoureux. Le peintre crée un univers pictural assez différent de ce qu'il propose habituellement, entre tragédie et monstrueux. Ici, la comédie implique le choix d’un univers plus doux et coloré, proche des scènes galantes et du rococo du début du XVIIIe siècle."

L'Iliade et l'Odyssée d'Homère a aussi inspiré Fussli, ici Achille rêvant, essaye de saisir l'ombre de Patrocle. L'amitié de Patrocle et d'Achille resta proverbiale. On affirme même que les liens qui les unissaient étaient plus étroits encore. Patrocle combat les Troyens avec l'armure d'Achille mais Hector le tue avec l'aide d'Apollon. Il s'agit d'un rêve encore mais cette fois qui nous relie à nos morts, à ceux que nous aimons et qui apparaissent dans la nuit pour que nous leur redonnions vie.


 




Ulysse naufragé reçoit le voile d'Inô-Leucothéa. Füssli puise ses sujets de prédilection dans des récits du répertoire classique, et notamment dans l'Odyssée d'Homère, qu'il a découverte en Suisse. Après s'être noyée dans la mer, Inô, mère adoptive de Dionysos, se transforme en divinité marine sous le nom de Leucothéa, et sauve Ulysse de la noyade en lui permettant de s'accrocher à son voile sacré. Füssli peint cette scène dans une composition verticale resserrée autour des deux figures monumentales de Leucothéa et d'Ulysse. La déesse présente un canon longiligne, une tête petite et une poitrine menue. Ulysse adopte la pose des dieux fleuves, citation de Michel-Ange, avec un dos musclé imposant. Toutes ces caractéristiques stylistiques dénotent la parfaite connaissance que Füssli avait du maniérisme italien du XVIe siècle.

Huon et Rezia réunis (1804), inspiré par un poème, Obéron de Wieland, qui met en scène Huon de Bordeaux. Ce poème raconte les aventures de Huon de Bordeaux qui, afin d’expier le meurtre d’un des fils de Charlemagne, doit aller à Bagdad, tuer le chevalier assis sur la gauche du Calife, voler au Calife quatre de ses dents molaires et une poignée de ses moustaches, et emporter une de ses filles, Rezia comme sa fiancée. Grâce à l’aide d’Oberon, roi des elfes, Huon réussit tous les défis, mais il attire le malheur sur lui-même et Rezia lorsqu’il rompt son vœu de chasteté. Les transports de la passion leur ayant fait oublier leur engagement sacré sur le vaisseau qui les ramène en Europe, une effroyable tempête les arrache à leur bonheur et ils sont jetés dans une île déserte.

 

 


Thor luttant contre le serpent de Midgard. Ici Fussli trouve son inspiration dans les légendes scandinaves. l’artiste peint  dans la fureur des éléments, un Thor bodybuldé  luttant contre le serpent Midgard, dont le point de vue en contre-plongée transcende les protagonistes.



 

 

 

 

 

 

La vision de Saint Jean du Christ et des sept chandeliers de l’Apocalypse, 1796

Le sujet de Füssli, le Christ apparaissant à Saint-Jean, alors que celui-ci repose au sol dans une transe mystique, et ordonnant à l’évangéliste d’enregistrer cette vision et d’autres dans un livre et de l’envoyer aux sept églises d’Asie Mineure  est un thème inhabituel dans l’art post-Renaissance, bien que Benjamin West ait également exécuté en 1797 pour Fonthill une esquisse du même thème. Füssli reste fidèle au texte dans sa façon de dépeindre la scène : le visage non-traditionnel sans barbe d’un « semblable au Fils de l’homme », se dresse majestueusement au milieu des sept chandeliers  qui, comme les sept étoiles qu’il tient dans sa main droite, représentent les églises asiatiques  ; il porte « un vêtement qui descend jusqu’au pied » avec une « ceinture dorée » sous sa poitrine . Sa tête avec ses « cheveux blancs comme la neige »  est entourée d’une auréole de lumière, resplendissante comme « le soleil qui brille dans sa force », et une « épée aiguisée à double-tranchant » sort de sa bouche

Milton et son "Paradis Perdu" constitue une autre source d'inspiration pour Fussli. Cette épopée est centrée sur deux épisodes de la Bible, la révolte de Satan contre Dieu, sa chute en enfer et sa conséquence, le péché originel commis par Adam et Ève, instigué par l'esprit vengeur de l'ange déchu, suivi du bannissement du jardin d'Éden.

La création d'Eve

"Dans cette  toile, Adam est endormi, le bras sur les yeux. On ne sait quels rêves peuvent habiter le premier homme mais on voit, bien réelle, Eve sortir de son côté et prise dans un mouvement ascendant qui tirerait vers le haut l'homme inconscient. Les mains jointes vers la divinité, elle est loin des "Eve" des représentations classiques. Elle est sensuelle et spirituelle, attirée non par l'homme mais par l'ouverture du ciel."

 Adam et Eve chassés du Paradis Terrestre

 



 


Brunehilde regarde Gunther attaché au plafond pendant leur nuit de noces. Cette œuvre illustre la chanson des Nibelungen, une épopée allemande du Moyen Age.

Brünhild est amoureuse de Siegfried mais méprise Gunther. Elle a promis d'épouser celui qui remportera une série d'épreuves. Siegfried, invisible grâce au casque magique, le Tarnhelm, aide Günther à remporter la victoire. Brunhild, vaincue, doit se résigner à épouser Günther. Le mariage a lieu à Worms avec celui de Siegfried et Kriemhild, sœur de Günther. Brunhild refuse de consommer son mariage. Elle ligote Günther et le suspend avec sa ceinture au dessus du lit nuptial.

Un autre remarquable dessin, Uma et le lion" avant d'arriver devant le Cauchemar". C'est une œuvre universellement connu, si on ne connaît qu'un tableau de Fussli, c'est celui-ci.

 

"Une jeune femme, yeux clos, étendue sur un lit, s’offre dans le plus total abandon du sommeil. Sa tête, penchée en arrière, déverse son épaisse chevelure. Sur son corps, saisi dans le drapé moulant de sa chemise de nuit, une effrayante créature est assise et toise le spectateur tandis que sur le côté, un cheval émerge de la pénombre et contemple la scène. Mêlant érotisme et fantastique, Le Cauchemar , personnifié par un incube à la lourde carrure, est l’une des toiles les plus célèbres de Füssli."

"Au-dessus, un incube s’est assis sur elle. Ce démon mystique s’attaque au sommeil des femmes. Il évoque le cauchemar. Le cheval fou aux yeux blancs et au regard aveugle confirme que la femme est bien dans un mauvais rêve. ""La dimension cauchemardesque de la scène est accentuée grâce au clair- obscur. La femme à la peau claire est vêtue de blanc, alors qu’au-dessus d’elle les créatures et la décoration sont assombris. Le peintre illustre l’aspect funèbre du rêve.

"Le cauchemar" qui fascina Freud qui en avait accroché une gravure dans son cabinet. Freud! Voilà un nom que l'on a en tête du début à la fin de l'exposition. L'inconscient, le rêve, la sexualité.... tout cela tourne devant nous avec les corps trop blancs des femmes et la farandole des monstres. Le petit être simiesque installé sur le ventre de la jeune femme est un  incube, créature venue s'emparer par le viol de l'endormie, étendue sur sa couche dans une robe blanche comme un linceul. Les tentures rouges de la première version suggèrent le viol, le sang, tandis que la position cassée du corps peut nous indiquer qu'il n'a plus de vie. Enfin la jument noire, symbole funeste, est une jument de la nuit "night mare" en anglais."

"L’incube est un ange déchu par la luxure, qui prend possession du corps de la femme pendant le cauchemar, il est assimilé à une relation sexuelle avec le diable. Il y a une idée de rêve érotique, d’un érotisme dangereux et diabolique. De plus, dans sa forme, cet incube s’inspire du Kobold, créature de la mythologie germanique."

L'incube quittant deux jeunes femmes  a été découvert récemment dans une collection privée. Il s'agit de l'une des dernières œuvres de l’auteur du Cauchemar encore en mains privées. Elle sera présentée chez Christie’s le 14 octobre prochain dans le cadre d’une vente de tableaux et sculptures anciens à New York. Une autre version, celle-ci, se trouve au Muraltengut à Zurich. "Ce tableau est une autre version du Cauchemar. Tout aussi frappant et psychologiquement complexe que la composition initiale, celui-ci propose un changement significatif dans la disposition, représentant l'immédiat après-coup du cauchemar : la victime se réveille, désorientée et angoissée, son regard hagard témoigne de sa confusion. L'aube n'est pas loin, les rayons de la lune qui pénètrent dans la pièce éclairent son buste, tandis que le diablotin s'enfuit à cheval par la fenêtre. Alors que la femme de la version initiale du Cauchemar est seule, elle est ici accompagnée d’une autre jeune femme. L'association de l’une endormie, et de la seconde éveillée, souligne l'attrait de Füssli pour le passage entre l'inconscient et le conscient, entre le rêve et la réalité."

Toujours pour se démarquer, Füssli crée des personnages hybrides et monstrueux et des scènes de sorcellerie comme La sorcière de la nuit rendant visite aux sorcières de Laponie (1796). C'est un tableau qui exprime l'horreur, la cruauté. C’est l’illustration d’un passage du Paradis perdu de Milton. "Elle représente la sorcière de la nuit, cavalier fantomatique flanqué d’une meute de chiens, dans un halo de lumière, interrompant le rituel satanique de sorcières, notamment le sacrifice d’un nouveau-né au premier plan."
 

 Le parcours se termine en beauté avec « Rêves, visions et apparitions » où l’horreur du cauchemar fait place à des rêves peuplés de fées, comme dans Le songe du berger (1793), ou de jeunes filles comme dans Le rêve de la reine Catherine (1781) 

"Les songes représentés par Füssli –songes profanes accompagnés de terreurs, loin des Songes de Jacob et autres rêves de Constantin dépeints jusque-là par les artistes- provoquent l’apparition d’êtres surnaturels, monstrueux ou féeriques, comme dans le fascinant « rêve du berger » de 1793, conservé à la Tate Gallery. La toile, exposée comme relevant de la série consacrée au Paradis Perdu de Milton mais renvoyant plutôt à l’univers shakespearien, présente un berger profondément endormi, flanqué de son chien et survolé d’une fascinante et langoureuse ronde de créatures féeriques. On retrouve la figure du berger endormi comme sujet central de « Lycidas », très belle toile de 1796-99 qui s’inspire d’un récit homonyme de Milton. Un jeune homme y est dépeint, s’abandonnant au sommeil sur un éperon rocheux, au clair de lune, accompagné d’un chien dont seule l’ombre est perceptible, dans une atmosphère sobre et romantique.


 Le rêve de la reine Catherine, 1781_

On retrouve enfin l’inspiration shakespearienne dans le superbe « rêve de la reine Catherine », 1781, inspiré de la pièce Henry VIII. La toile dépeint la vision de félicité éternelle éprouvée par Catherine d’Aragon, répudiée par le roi, avant sa mort. La reine, Catherine d'Aragon, déjà d’une pâleur morbide, tend le bras, dans un sursaut d’agonie, vers les esprits incarnés par les jeunes suivantes de la reine qui montent au ciel, dénudées, formant un arc de cercle éthéré et sensuel autour d’elle et dont la courbe et la blancheur des chairs et des légers drapés contrastent avec le registre inférieur de la composition marqué par les lignes droites du lit néoclassique et l’obscurité alentours.

J'ai beaucoup aimé les femmes de Fussli, elles sont longues et fines, aériennes." Il faut dire que le licencieux n’est jamais loin lorsque l’on pense à Füssli. Son intérêt pour les parties les plus érotique du corps des femmes, comme les fesses et les cheveux". "Füssli fait de la femme moderne l’incarnation d’un pouvoir amplifié, inquiétant: là où l’on attendrait des corps idéalisés dans des poses gracieuses, on aperçoit des femmes dominantes parées de tenues raffinées à la pointe de la mode, la tête surmontée de coiffures extravagantes."

La femme occupe une place très importante dans la vie et l’œuvre de Füssli. Tantôt amante, modèle ou conquête, elle est pour lui un sujet de prédilection. Dans ses dessins, ses héroïnes sont imposantes, souvent dominatrices et fantasmatiques. Füssli aime représenter l’omnipotence de la femme face à l'homme soumis.

"Füssli éprouve également une grande fascination pour les chevelures et les coiffures élaborées, qu'il représente à de multiples reprises et sous toutes leurs formes. La coiffure devient un signe de puissance, tandis que des tenues extravagantes complètent la mise en scène de ses dessins. L'artiste entretient des relations passionnées avec ses modèles, comme Sophia Rawlins (1770-1832), qu'il épouse en 1788. La femme de lettres et philosophe féministe Mary Wollstonecraft (1759-1797), dont il a peint le portrait, s'entiche de lui et lui propose de partir à Paris suivre les événements de la Révolution française : son épouse s'opposera toutefois à cette aventureuse expédition."

Cette exposition est superbe, avec Munch et Kokoshka, elle fait partie des incontournables de l'automne à Paris.

 



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